La solidarité des conducteurs au tribunal : scandaleux !


J'ai fait un mauvais rêve. Un procureur convoquait devant le tribunal correctionnel dix membres d'un groupe Facebook. Des néo-nazis patentés ? Des gangsters zélés ? Des jihadistes illuminés ?

Non. Des automobilistes solidaires.

Je n'ai pas rêvé. Le 9 septembre prochain, dix citoyens sans histoire devront répondre du délit qui consiste à «utiliser un appareil ou un dispositif de nature à détecter les radars». Leur crime : avoir créé un groupe Facebook, «Où est la police en Aveyron ?», où des automobilistes signalaient à d'autres conducteurs l'emplacement des képis à un instant donné. Ils risquent une contravention de cinquième classe, soit une amende de 1500 €.

C'est peu dire que le procédé est scandaleux. J'irai même plus loin : il est totalement illégal. Depuis 2012, il est effectivement interdit d'utiliser des brouilleurs ou détecteurs de radars. Les avertisseurs de radars ont été modifiés par la loi, et vous informent désormais de la seule présence «possible» d'une paire de jumelles sur une zone donnée. Tout le reste est prohibé.

La question que devront trancher les juges est donc la suivante : un groupe Facebook où l'on s'échange des informations sur la présence des autorités à tel endroit est-il un «appareil ou un dispositif de nature à détecter les radars» ? Si les juges répondent oui, nous allons bientôt tous finir au tribunal. Le simple fait de dire à votre conjoint «chéri, attention, il y a des contrôle radars en bas de la maison» fera de vous un délinquant. Et je ne parle même pas des appels de phare entre automobilistes, vieille coutume française qui pourra vous emmener directement au tribunal.

Le procureur qui a décidé de ces poursuites est très fier de son coup. «C'est une première», annonce-t-il à la presse. Réprimer la solidarité par un détournement de la loi n'a effectivement rien de fréquent. Heureusement que ce procureur n'est pas juge. Son rôle est d'engager les poursuites. Il est, à ce titre, directement rattaché au ministère de la Justice. Et donc au gouvernement. Vous voyez où je veux en venir ?

Heureusement pour nous, il se trompe. Son coup d'éclat n'est pas une première. A de multiples reprises, d'autres procureurs zélés ont engagé des poursuites contre l'ancêtre de ce groupe Facebook : les bons vieux appels de phare signalant la présence d'un radar. Cette tradition d'entraide est une merveille : elle prouve que dans un monde individualiste et égoïste, la solidarité d'un peuple contre la répression d'un Etat aux abois est possible. En 1974, des automobilistes ont été traînés devant le tribunal pour ce délit de solidarité. Après de multiples rebondissements, la cour de cassation, instance suprême qui dit le droit, a tranché : les appels de phare relèvent de l'entraide. Et l'entraide, dans une République où le mot «fraternité» est inscrit sur le fronton de nos mairies, n'est pas un délit.

Cette évidence a donc déjà été menacée, mais le droit a triomphé. Je suis certain que les juges du tribunal correctionnel, libres, indépendants du pouvoir politique contrairement aux procureurs, sauront s'en rappeler. Face à la répression grandissante, à l'Etat omnipotent, à la crise morale et économique qui touche notre société, la solidarité est le dernier refuge d'un peuple libre, digne, rebelle. Soyons-en fier. Elle est notre bien commun le plus précieux.

INTERVENTIONS

Maître Iosca intervient dans les plus grands médias français

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