Lettre à Chantal Perrichon


Entre toi, et moi, c'est une histoire compliquée. C'est dommage. Dans une autre vie, nous aurions pu être amis. Peut-être même plus ? Je t'avoue, cette perspective me titille un peu le levier de vitesse (non je plaisantais tu t'en doutes). Mais évitons les sorties de route, nous savons tous les deux à quel point tu détestes ça.

Pardon de te tutoyer, mais saches que chez moi, c'est une marque de sympathie et de respect. Il faut dire que malgré nos différences, nos parcours sont un peu parallèles. Lorsque tu es devenue présidente de la ligue contre la violence routière en 2002, je commençais ma carrière d'avocat compétent sur le code de la route. Lorsque tu t'apprêtais à faire de nos écarts au volant la cause de toute une vie, je m'apprêtais à faire de même.

Bien sûr, à première vue, nos points communs s'arrêtent là. Peut-être en avons nous d'autres. Moi j'aime la bonne chair, les week-ends à la campagne, l'art contemporain. Je place l'amour -de mes proches, de ma famille, de mes amis - au-dessus de tout. Car je te l'avoue sans gêne, je suis un grand sentimental. Un rien m'émeut. Peut-être que toi aussi … après tout.

A vrai dire j'en doute un peu. Car quand je t'écoute, je ne perçois qu'une seule chose : la haine. Celle des conducteurs bien sûr, génocidaires patentés qui méritent le goulag pour un clignotant défaillant. La haine du législateur aussi, trop souple, trop mou, trop laxiste. La haine des autres en général, spectateurs indifférents et donc forcement complaisant d'un holocauste quotidien.

A cette liste, il faut ajouter une haine supplémentaire : la haine de moi. Le 9 avril dernier, dans l'émission "Le Grand journal" de Canal+, tu as jeté mon livre "65 astuces légales pour garde ou récupérer son permis de conduire" par-dessus la table. Un geste accompagné de ce commentaire : "Il fait partie de ces avocats qui n'ont aucun talent. Ils utilisent les dysfonctionnements, qui existent hein, dans le droit administratif, et moyennant 5000 €, ils essaient de faire en sorte qu'on récupère son permis".

En voyant cette séquence, ma première pensée a été de supposer que tu avais pris un PV avant de venir. J'aurais compris : c'est assez désagréable. J'aurais bien proposé de te le faire sauter, mais tu vas encore rouspéter.
Ma deuxième pensée a été de me dire que tu faisais un regrettable contresens. Ça arrive. Je ne sais pas si j'ai du talent, ou en tout cas, ce n'est pas à moi de le dire. En revanche, j'ai un diplôme. Un diplôme de droit. C'est sans doute ici la principale de nos différences. Je ne sais pas trop quel est ton parcours de vie, et donc d'où tu tires ta légitimité, car il est curieusement difficile de dénicher des éléments de biographie sur Google. Moi, c'est le goût du droit qui m'anime. Le même goût du droit qui anime ces centaines de juges qui, depuis plus de dix ans, ont annulé les retraits de points ou de permis que je leur ai soumis. A tes yeux, ils sont complices. Aux yeux de l'État républicain dans lequel nous sommes, ils sont les garants de notre liberté. Ce que tu appelles des "dysfonctionnements" n'en sont pas : ce sont des atteintes aux droits, et donc à la liberté. Un État qui permet de parer ces atteintes aux droits s'appelle une République. L'État dont tu rêves, où les règles sont à géométrie variable, où le droit s'adapte à chacun de façon arbitraire sans possibilité de se défendre, les historiens ont un nom pour cela : la dictature.

Ta dernière erreur concerne mes honoraires. Je ne prends pas 5000 €, mais beaucoup moins. Et si un jour, comme d'autres célébrités hérauts des grandes causes et des bons sentiments, tu pousses anonymement la porte de mon cabinet un brin gênée de devoir faire appel à me services, je te ferais un bon prix. J'irais même plus loin : je t'offrirais gracieusement mon livre, ce livre honni que ton coup d'éclat a fait remonter illico dans le top 5 du classement des meilleures ventes en libraires.

Ce jour-là, soyons réaliste, je ne gagnerais ni ta sympathie, ni même ton respect. Moi, je gagnerais juste une cliente, et de quoi rembourser le crédit de ma voiture. Une voiture avec laquelle je pourrais continuer de rouler, heureux et serein, sur les routes de campagne de ce magnifique État de droit qu'est la France. Et en respectant, autant que possible, les limitations de vitesse. Le cas échéant, ne t'inquiète pas pour moi, je trouverais bien un moyen de faire sauter la contravention, le retrait de points et l'amende.
Je t'embrasse.

INTERVENTIONS

Maître Iosca intervient dans les plus grands médias français

Avocat permis : Auto plus
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